Tuesday, February 15, 2011

Donkey Kong, la 10e merveille du monde

Cinéma et jeu vidéo, une histoire culturelle et …monstrueuse

Compte-rendu du séminaire d’Alexis Blanchet du 10/2/2011 dans le cadre de l’IHTP (Institut de l’Histoire du Temps Présent)

Préambule

André Gunthert, Maître de Conférences à l’EHESS (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales) précise, en introduction de ce séminaire, que l’invitation d’Alexis Blanchet est le fruit d’une association entre le séminaire “Mythes, images, monstres” et le séminaire “Histoire culturelle du cinéma“, animé par Christophe Gauthier, Anne Kerlan-Stephens et Dimitri Vezyroglou, pour une séance spéciale. En effet, le Jeu Vidéo a été oublié dans un colloque en janvier au Quai Branly. D’autres associations sont à suivre.

Introduction

Alexis commence son intervention en la décrivant comme bicéphale. Elle sera séparée en deux parties. Il y aura tout d’abord un regard du Jeu Vidéo dans la Recherche puis il parlera de l’intersection entre Jeu Vidéo et Hollywood depuis ses débuts jusqu’à aujourd’hui, en se concentrant sur la 1ère période, de 1971 à 1983.

La place du Jeu Vidéo dans la Recherche

Dans le monde académique, au milieu des années 2000, l’image du Jeu Vidéo était celle d’une industrie du divertissement pour enfants, trois points ne jouant pas en sa faveur auprès des chercheurs. L’argument décisif fut l’état de l’art dans la Recherche française. En 2004, seuls quelques textes étaient publiés par des chercheurs français. La majeure partie était anglo-saxonne et scandinave, pays dans lesquels les recherches sur le sujet débutèrent au début des années 90. Depuis environ 2000, apparaissent des doctorants, des docteurs et quelques Maîtres de Conférences français dans le Jeu Vidéo. Cela commença dans le domaine de la psychologie, avec le thème de la violence depuis les années 80 et celui de l’addiction dans les Meuporg MMORPG (Massively Multipayer Online Role Playing Game ou Jeu de Rôle en Ligne Massivement Multijoueur dont l’exemple le plus connu est World of Warcraft ou WOW).

Cependant, au niveau de l’image du Jeu Vidéo, le lancement de la PlayStation 2 (PS2) a marqué les esprits (NdA : venant de dépasser les 150 millions d’exemplaires, elle est la console de salon la plus vendue de tous les temps). Selon Alexis, un changement de perception eut lieu alors chez les journalistes généralistes et des articles économiques se sont mis à apparaître en dehors de la période de Noël et les sociologues ont commencé à s’emparer du sujet.

Une approche historique

La présence de textes académiques étant, comme il a été dit plus haut, sporadique, écrire une histoire du Jeu Vidéo demande la consultation de livres anglo-saxons, la lecture d’articles de presse et des entretiens avec des passionnés. Cependant, beaucoup des ouvrages disponibles décrivent cette histoire à travers les grands personnages de ce médium. Or, Alexis souhaitait dépasser cette « théorie des grands hommes » et saisir les mouvements culturels, industriels et sociaux depuis les années 70 et la commercialisation des premiers jeux vidéo. De même que pour le terme cinéma qui regroupe aussi bien la salle, l’industrie ou la pratique, celui de jeu vidéo peut représenter à la fois les pratiques ou l’objet. Le terme « jeu vidéo » vient de l’anglais « video game ». Dans les années 70, le premier terme utilisé était plutôt « electronic game » pour passer, dans les années 80 à « computer game » avant de se fixer sur l’expression actuelle à la fin de la décennie 80.

Il n’est jamais aisé de donner une date débutant un domaine. Cependant, comme le cinéma avec la 1ère projection des frères Lumière en 1895, on peut, pour le Jeu Vidéo, prendre la première exploitation commerciale d’un jeu en 1971 : Computer Space, par Nolan Bushnell. Par ailleurs, il est intéressant de remarquer que, depuis lors, la perception du Jeu Vidéo a évolué. D’un côté, le teme « jeu vidéo » était utilisé dans un sens péjoratif comme l’illustre la critique du film « La Momie » par Télérama. De l’autre, les politiques, en 2007, étaient souvent présents dans « Second Life », application qualifiée de jeu vidéo.

Mais qu’est-ce qu’un jeu vidéo ? Dans son « dictionnaire mondial des images », Laurent Gervereau a retenu la définition proposée par Alexis Blanchet dont voici un extrait :

Jeu vidéo : n. m.

Activité ludique régulée par un ordinateur ou un circuit électronique qui combine un appareillage audiovisuel – un écran souvent accompagné d’un dispositif sonore – avec une interface physique sur laquelle agit le joueur (manette, joystick, clavier d’ordinateur, microphone, écran tactile…) Les actions du ou des joueurs sur le périphérique de jeu engagent des changements de paramètres pris en compte par le programme informatique et traduits à l’écran par des modifications de l’image diffusée.

Il faut ensuite envisager le contexte global. Ce secteur a une mémoire de poisson rouge : aucune archive de ce qui a été produit n’a été constituée. Alexis a demandé une liste des jeux sortis sur leurs machines respectives à Nintendo, SONY et Microsoft. Les deux derniers ne lui ont pas répondu et Nintendo France l’a redirigé vers le site www.jeuxvidéo.com ! En cherchant sur internet, il a réussi à trouver une liste des jeux Nintendo sur le site américain de la firme. Au début, les contraintes technologiques imposait aux industriels de recycler les mémoires. De plus, au fil des fusions et acquisitions, le travail était perdu comme Infogrames demandant aux employés de l’une des sociétés qu’elle a acquises de vider leurs armoires (NdA : ou Nintendo Japon qui fit mettre à la benne une grande partie des siennes en 2006. Cf Florent Gorges dans l’un des podcasts Gameblog auxquels il a participé). Il existe néanmoins quelques ressources institutionnelles. Depuis 1992, la BNF (Bibliothèque Nationale de France) a un dépôt légal des jeux vidéo auxquels les éditeurs sont censés envoyés chacun de leurs jeux en deux exemplaires (complet avec jeu, boîte et notice), un pour la conservation et l’autre pour la consultation. Cet envoi n’est malheureusement pas assez respecté. L’expertise existe heureusement auprès des passionnés, des fans, auprès de la presse spécialisée et économique, avec les publicités et dans les rapports d’activité (ceux de Warner contient beaucoup d’informations sur Atari au début des années 80).

Il faut faire attention aux mythes, présents dans toute histoire.

La légende raconte que, lors de l’introduction de la première borne d’arcade Pong au « Andy Capp Tavern » aux Etats-Unis, le gérant de l’endroit appela rapidement la société car la machine ne fonctionnait plus. Il se trouve que c’était en fait le réceptacle à pièces, trop rempli, qui l’empêchait de fonctionner.

Or, on retrouve cette même anecdote avec Pac-Man dans la page Wikipédia FR sur l’âge d’or des jeux d’arcade ou encore se déroulant en France, à Paris, dans La Saga des Jeux Vidéo de Daniel Ichbiah.

Stephen Kline détaille une idée selon laquelle le Jeu Vidéo a trois composantes : une partie technologique, avec les ingénieurs et les fabricants, une partie marchande avec le marketing et la publicité et une partie culturelle pour son utilisation. Elles sont en constant frottement et il faut composer avec. Il en est de même avec le cinéma.

On peut recenser 3 périodes concernant la relativement courte histoire de ce domaine. Il y a tout d’abord un âge d’or américain, de sa création (1971) à la crise de l’industrie en 1983, puis la période des « Nintendo Kids » (1983-1994) dominée par Nintendo et SEGA. Enfin, la période actuelle de démocratisation du Jeu Vidéo avec l’arrivée de nouveaux acteurs issus de l’électronique grand public et du logiciel « généraliste », SONY et Microsoft.

Focus sur la période 1971-1983

Cette époque fut dominée par la première major du Jeu Vidéo : ATARI. Durant ces années, ATARI définit la direction du marché et réussit à imposer Pong comme étant égal, dans les esprits, à Jeu Vidéo. En effet, entre 1971 et 1974, tous les jeux qui sortent sont des équivalents plus ou moins complexes du jeu d’ATARI.

Deux modes d’exploitation opéraient à l’époque. Celui de l’arcade soutenait le Jeu Vidéo par son aspect de démonstration technologique puis s’est mis à péricliter quand les consoles de salon furent à même d’offrir un aspect technique sensiblement similaire. Et donc, l’autre mode de consommation est le marché domestique, initié par Ralp Baer et son Odyssey. L’idée de M. Baer part de la constatation qu’en ce début des années 1970, 80% des foyers américains ont une télévision. Il réussit à faire en sorte qu’elle serve d’écran pour sa console en détournant l’utilisation de la prise antenne pour y brancher l’Odyssey. Il y a donc là un véritable « hacking » au sens premier du terme, un détournement, concept consubstantiel au Jeu Vidéo depuis ses origines jusqu’à aujourd’hui qui s’accompagne d’un geste assez révolutionnaire pour l’époque désacralisant l’objet « télévision » puisque Ralph Baer fait débrancher le câble aux américains pour y mettre celui de sa console !

Prenant conscience du succès grandissant de ce nouveau secteur, le New Hollywood (terme donné à la réorganisation des majors du cinéma en conglomérats hétérogènes dans les années 60/70 puis vers un rassemblement vers le divertissement) intervient. L’origine de cet intérêt vient en partie du fait que l’année 1971 est l’une des pires en terme de fréquentation des salles à cause de la télévision. Il faut donc un moyen aux studios de minimiser les risques. De ce constat, on arrive à des « pre-sold projects », du cross média (l’adaptation en film d’un livre à succès garantit presque un succès pour le film) et de produits dérivés.

Selon Alexis, le film est le logiciel qui viendrait nourrir un matériel de plus en plus variés : la salle au début puis la télévision, la cassette VHS, le DVD et maintenant les consoles de jeu avec la VoD (video on demand).

Le rachat d’ATARI par la Warner fait donc partie des moyens de limitation des risques par les majors du cinéma. Fondé avec 500$ en 1972, Nolan Bushnell vend ATARI au conglomérat Warner Communications en 1976 pour 30 millions de dollars. En 1981, ATARI représente 30% du conglomérat WBCI entier. Le Jeu Vidéo grignote des parts de marché et du temps d’activité au cinéma et à la télévision.

Les monstres

Petit aparté : Comment expliquer la présence des japonais dans le secteur vidéoludique dès 1975 ?

Alors que jusqu’à présent, les négociations avec les acteurs japonais étaient toujours extrêmement longues, avec le succès aux USA des robots en fer blanc, le gouvernement japonais prit conscience que 80% de leur production étaient exportés vers les Etats-Unis. Par conséquent, il fit en sorte que les contrats puissent être signés plus rapidement. De plus, en intégrant des composants électroniques dans ces robots, les compagnies japonaises de ce domaine, qui deviendront en grande partie celles fabriquant les consoles et ordinateurs japonais, purent ainsi avoir une meilleure connaissance du marché américain. Ce fut leur porte d’entrée.

Les créateurs de jeux vidéo sont, à la base, des techniciens et des ingénieurs. Ils puisent leur inspiration pour leurs créations dans leurs imaginaires peuplés, notamment, de monstres. Il y a donc recyclage des monstres dans le Jeu Vidéo, surtout ceux provenant des films datant de 1931 à 1934, période dominée par Universal et ses « Horror Movies » comme Dracula, Frankenstein ou les momies (que l’on retrouve respectivement dans Kid Dracula de Konami, Frankenstein de Bandai ou DecapAttack de SEGA). D’ailleurs, le premier jeu à exploiter le thème du Western est japonais, c’est Gunfight par TAITO. Ils utilisent ainsi un folklore connu mondialement afin de pouvoir exporter ce produit en dehors du Japon.

Le premier film adapté en jeu vidéo est « Jaws » (Les Dents de la Mer) de 1975, réalisé par Steven Spielberg. Suite à un refus de la Warner d’en céder les droits à ATARI, Bushnell réalise en quelque mois cette adaptation détournée dans laquelle le joueur contrôle un plongeur devant attraper des poissons tout en évitant le requin. On remarquera surtout, sur la borne, la mention « Shark » en petit, presque pas visible par rapport à celle de « Jaws ».

Circulation intermédiatique : le cas des zombies

Le corpus de jeux vidéo utilisant des figures monstrueuses inclue les Vampires (125 jeux), les zombies (114), les momies (environ 100),… Alexis s’est plus particulièrement intéressé ici aux zombies.

Ce mythe haïtien du XIXe siècle est tout d’abord adapté en film en 1932 dans White Zombie dans lequel les zombies sont des « non morts ». Puis, en 1968, George A. Romero réalise « Night of the Living Dead » (La Nuit des morts-vivants) où, à travers la Science, les zombies sont plutôt considérés comme des infectés. En jeu vidéo, on peut citer Dead Rising (2006) de Capcom s’inspirant de « Dawn of the Dead » (Zombie dans sa version française - 1978) du même Romero. Finalement, c’est Capcom qui fait revenir sa licence Resident Evil aux sources du mythe avec son Resident Evil 5 (2009) se déroulant en Afrique.

Donkey Kong : une œuvre « patchwork »

Le jeu Donkey Kong est édité par Nintendo en 1981. Ce nom est une référence à King Kong, personnage d’un film d’horreur de 1933 qui a été l’objet d’un remake seulement 5 ans avant l’arrivée de Donkey Kong.

Petit retour sur l’histoire de cette borne d’arcade. Nintendo veut conquérir le marché US et, à cette occasion, crée Nintendo of America, société à la tête de laquelle le président, Hirosho Yamauchi, placera son gendre, Minoru Arakawa. Voulant surfer sur le succès japonais du jeu Radar Scope, Nintendo exporte près de 3000 bornes vers les Etats-Unis. Mais plusieurs mois s’écoulent et le jeu est déjà obsolète à son arrivée. Yamauchi dépêche alors l’ingénieur Gunpei Yokoi (les Game & Watch, la Game Boy,…) et le designer Shigeru Miyamoto (Mario, Zelda,…) afin d’utiliser le hardware de Radar Scope pour créer un nouveau jeu qui permettrait de rattraper l’échec commercial de ce dernier tout en trouvant une thématique adaptée au marché américain.

La première idée est d’utiliser la licence de Popeye que Nintendo a déjà acquise et de profiter aussi du film live de 1980 avec Robin Williams. Malheureusement, les ayant-droits refuse le projet car ils trouvent que le personnage n’est pas assez ressemblant. Le triangle amoureux Popeye/Olive/Bluto (Brutus) se transforme alors en Jumpman (Ossan, nom d’origine au Japon qui deviendra plus tard Mario)/Pauline/Donkey Kong

Influences

La première des influences de Donkey Kong est évidemment le singe géant si connu. King Kong a été l’objet d’un film japonais, King Kong contre Gozilla (Kingu Kongu tai Gojira, 1962) mais il existe aussi un film de 1932, véritables prémices de King Kong, intitulé Murders in the Rue Morgue dans lequel du sang de jeune vierge est injecté à un grand singe afin de créer le chaînon manquant. S’élevant une certaine conscience, le singe tombe amoureux de l’héroïne et la kidnappe. On notera alors plusieurs points communs avec Donkey Kong : le sauvetage de la fille en détresse, un grand singe patibulaire et des personnages qui grimpent. C’est cet imaginaire qui est draîné avec King Kong : la verticalité, les grattes-ciel et les structures métalliques rouges, que l’on retrouve dans des œuvres du milieu du XXe siècle comme la photographie Lunchtime atop a skyscraper (Charles Clyde Ebbets, 1932) ou le cartoon Bad Day at Cat Rock (Chuck Jones, 1965).

Cependant, le grand gagnant est Mario. Nintendo investit énormément dans ce personnage depuis sa création et, en 1990, une étude américaine (Q ratings) montre que les enfants reconnaissent plus Mario que Mickey Mouse. La figure de Mario a d’ailleurs été dictée par les contraintes techniques de la borne dont le jeu, bien qu’inventé par Miymoto et Yokoi, a été codé par une société externe. La moustache permet de marquer une séparation entre le nez et le menton, les proportions rappellent celles du dessin SD (Super Deformed) japonais car la tête du personnage compte pour le tiers de sa taille totale. Ce corps est à rapprocher de celui de Buster Keaton et son univers où les similitudes sont nombreuses : cabrioles, cascades, mouvements, courses, cadrage, obstacles, environnements (voir le montage à ce propos de Manuel Garin).


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