Friday, July 1, 2011

DS : la pensée latérale des technologies désuètes au résultat stratosphérique

Gunpei Yokoi, inventeur chez Nintendo pendant plus de 30 ans, est le père de la Game Boy, des Game & Watch mais aussi de jouets plus anciens comme l’Ultra Hand ou l’Ultra Machine. Il mourut tragiquement en 1997 suite à un accident de voiture. Cela fut un choc pour tous les amateurs du petit monde ludo-numérique. Et particulièrement chez Nintendo, évidemment. C’est notamment un coup très dur pour Shigeru Miyamoto, collègue et presque « protégé » de Gunpei Yokoi. Afin de respecter sa mémoire, la philosophie de ce dernier reste dans un coin de la tête de l’inventeur de Mario et Zelda : « La pensée latérale des technologies désuètes » et il faudra attendre quelques années avant de voir le résultat de ses réflexions. Cette philosophie consiste à prendre des technologies éprouvées et peu chères pour une utilisation différente. C’était par exemple le cas pour les Game & Watch où Yokoi a eu l’occasion de faire une utilisation ludique des écrans LCD pour calculatrices, comme c'est très bien expliqué dans la biographie de ce grand bonhomme du Jeu Vidéo écrite par Florent Gorges.

Le résultat est donc le projet « Developper’s System » ou plus tard « Nitro » qui est présenté pour la première fois au début de l’année 2004. C’est une console portable comportant deux écrans séparés dont un tactile avec un design rappelant fortement les Game & Watch double écran comme ceux de Donkey Kong ou Zelda. La DS utilise une technologie d’écran tactile de type résistif et "single touch" comme ceux qu’utilisent déjà depuis des années les écrans des caisses enregistreuses des supermarchés ou des distributeurs automatiques de billets. On accorde alors souvent à Satoru Iwata, le nouveau PDG de Nintendo les paroles suivantes avant le lancement officiel de la console : « Nous serons très contents si seulement 10% de nos joueurs achètent celle nouvelle portable ». Avec 148 millions de DS venduesen cette fin de mois de juin 2011, elle est devenue depuis quelques années la console la plus vendue de tous les temps.

Personnellement, je m’étais dit que j’allais être très sérieux vis-à-vis de cette nouvelle portable. Comme je vous l’ai déjà dit, j’avais été refroidi par la première GBA au point de boycotter les portables de Nintendo pendant près de 3 ans. Par conséquent, je ne voulais pas me faire à nouveau avoir par cette future DS. J’avais donc émis 3 conditions très strictes concernant mon achat éventuel de la machine :

Ø Il fallait tout d’abord impérativement un écran rétro éclairé. C’était le principal reproche que j’avais contre la GBA « panda », la première du nom. Et pas non plus un écran éclairé sur les côtés comme la GBA SP. Tant qu’à faire, autant avoir un éclairage homogène.

Ø La rétro compatibilité était aussi pour moi essentielle étant donné que j’avais raté une bonne partie de la ludothèque GBA. J’avais donc du retard à rattraper.

Ø Enfin, parce qu’il faut aussi prendre en compte des réalités bassement financières, je voulais que la console sorte à moins de 150€

Armé avec de telles conditions, j’étais persuadé que j’en avais pour 1 an ou 2 avant de craquer pour la Dual Screen. Malheureusement pour moi, Nintendo a été très fourbe et a accédé à toutes mes requêtes. Me voilà donc condamné à l’acheter à sa sortie. J’étais fichu, c’est comme si Miyamoto avait fait le voyage jusqu’en France pour venir me mettre un pistolet sur la tempe le jour de sa sortie pour me forcer à aller au magasin de jeux vidéo le plus proche. Je dois avouer que ça ne m’aurait pas déplu, j’aurais pu en profiter pour lui demander quel était le vrai premier nom de Mario : Jumpman, Ossan ou Mr Video ?

C’est ainsi que j’achetai ma première DS, la DS tank et son design que l’on considère maintenant comme pataud et imposant mais ce qui importait alors était plutôt ce qu’on pouvait faire avec. Achetée le jour de sa sortie avec Feel The Magic, Polarium et Wario Ware Touched, je l’avais bien sûr précommandée pour être sûr de l'obtenir en "Day One". Signe d’un possible trouble neurologique grave, j’avais même acheté Super Mario 64 en version américaine ainsi que Final Fantasy Tactics Advance et Chu Chu Rocket sur GBA deux semaines plus tôt. Elle était fascinante et pas uniquement pour moi. C’est ce que je découvris lors d’un voyage en train. En effet, quel meilleur endroit que les transports pour se distraire et passer le temps avec une console portable ? Les toilettes sont effectivement un sérieux concurrent mais je vous propose les commentaires pour continuer ce passionnant débat ! Profitant pour la dernière année de ma carte SNCF 12-25 ans, j’avais acheté mon billet à moitié prix. Comme je suis incroyablement tête en l’air, j’avais évidemment oublié ce justificatif chez moi. Le jeune contrôleur, voyant ma tête sincèrement désolée et mes recherches désespérément vaines me prit en pitié dit, en pointant la récente DS du doigt : « Je passe pour cette fois mais c’est bien parce que vous avez ça. ». Je dois avouer l’avoir remercié d’un ton abasourdi et j’ai encore du mal à y croire ! Une heure plus tard, je me dirigeai vers sa cabine pour la lui faire essayer. Ce furent, sans aucun doute, les 30 minutes les plus agréables que j’ai jamais passées avec un contrôleur de la SNCF.

Comme je le mentionne plus haut, c’est grâce à la DS que j'ai vraiment pu profiter des jeux GBA : Fire Emblem, Mario & Luigi Superstar Saga, Lost Vikings (auquel, je ne sais pourquoi, je n'avais jamais vraiment joué sur Amiga) ou les autres Castlevania. Grâce à la haute luminosité, du moins pour 2005, de l’écran rétro éclairé de la DS, les jeux GBA étaient enfin jouables dans toutes les conditions et les couleurs pouvaient finalement éclater sur nos rétines. D’ailleurs, je crois me souvenir que le 1er Castlevania était moins lumineux que les suivants. Peut-être n’avais-je pas été le seul à être surpris par l’absence de rétro éclairage de la GBA initiale ?

Mais la DS est surtout un nouveau terrain de jeu pour les développeurs, la promesse d’un terreau fertile pour l’émergence de nouveaux mécanismes de gameplay, de nouvelles idées originales. Et dans l’ensemble, je trouve que le pari est plutôt réussi. J’ai trouvé en tout cas qu’il y a, a posteriori, un joli équilibre entre nouvelles idées, remakes d’anciens jeux et excellents jeux plus traditionnels. J’ai ainsi pu découvrir des perles manquées comme Chrono Trigger, Dragon Quest 4 et 5, Final Fantasy 3 et 4.

Le premier est vraiment l’un des meilleurs RPG qui existent avec une superbe alchimie entre les membres de la dream team des jRPG de l’époque, Hironobu Sakaguchi, créateur de Final Fantasy, à l’écriture, Akira Toriyama, dessinateur de Dragon Ball au design et Nobuo Uematsu (Final Fantasy) aux musiques. Tout dans ce jeu est proche de la perfection : les dessins qui n’ont pas vieilli, les personnages et leurs interactions, les musiques, le rythme, le système de combat et j’en passe. Les deux épisodes de Dragon Quest ont pour moi marqué ma rencontre avec la série et leur originalité est encore d’actualité, avec un Dragon Quest 4 découpé en chapitres dont les premiers sont occupés par des personnages secondaires tellement plus attachants que le héros générique et un Dragon Quest 5 qui tire son épingle du jeu grâce à un scénario qui s’étale littéralement sur plusieurs générations. Ces Dragon Quest restent très « old school » dans leur jouabilité mais le nouvel habillage repris des versions PS2 aide à faire passer la pilule. Ils sont moins « old school » que Final Fantasy III. Ce dernier, même avec un remake 3D opéré pour l’occasion, garde sa difficulté d’antan qui m’avait d’ailleurs découragé au début. Heureusement, les magnifiques musiques d’Uematsu furent une aide précieuse dans le processus nécessaire de levelling[1]. Sa suite a d’ailleurs vraiment été pour moi l’occasion de comprendre pourquoi j’aimais tant les Final Fantasy. Une histoire prenante de bout en bout, un système de combat dynamique et une réalisation de toute beauté.

Mais j’ai aussi pu découvrir des perles nouvelles mettant plus ou moins en avant les capacités intrinsèques de la DS que sont le double écran, l’écran tactile et le micro. La série des Ace Attorney étant issue de jeux sortis initialement sur GBA sous le nom de Gyakuten Saiban, ils n’utilisent donc pas toutes ces possibilités. Cela n’empêche pas ces jeux d’aventure textuelle d’être une série à l’écriture remarquablement maîtrisée dans laquelle les équilibres entre comédie et drame, tension et dérision ou calme et moment épique sont souvent « au poil ». Osu ! Tatakae ! Ouendan ! a par contre été pensé pour la Nintendo DS. Ce jeu de rythme demande au joueur de cliquer avec le stylet sur l’écran au bon endroit et au bon moment. Cela réclame dextérité et sens du rythme. Mais la force du titre est, je pense, à chercher dans le choix des chansons (ici typiquement japonaises, elles seront changée dans l’adaptation au marché occidental réussie qu’est Elite Beat Agents) et surtout dans les histoires racontées au fil des chansons. Le joueur devra, par l’intermédiaire des supporters (ouen signifie « encouragement » en japonais), aider un cheval de course à attraper un cambrioleur, un étudiant à réviser malgré le bruit fait par le reste de sa famille ou un violoniste à parvenir aux toilettes avant son concert ! The Legend of Zelda : Phantom Hourglass est aussi un exemple dans l’utilisation de la DS avec les annotations sur les cartes (fonction dont je rêvais depuis que je les dessinais moi-même, cf la section sur la NES), le micro qui servait assez souvent, la navigation sur l’océan, bien mieux gérée que dans Wind Waker ou tout simplement les déplacements de Link et le système de combat. Cependant, Another Code avait déjà son lot d’utilisations originales d’une console pour le gameplay et notamment une reprise par Zelda : le coup du miroir. Je n’en dis pas plus pour ne pas gâcher la surprise mais j’avoue que je suis encore bluffé cette astuce !

Enfin, il existe toute une ribambelle de jeux plus traditionnels mais néanmoins excellents. Je commencerai par Mario Kart DS qui est pour moi le meilleur de la série. Il réunit les meilleures courses et les meilleurs objets de la saga, avec une maniabilité hors pair et un mode online tout à fait satisfaisant. J’ai deux regrets seulement, l’absence de chat vocal et peut-être le snaking trop présent. Je me suis aussi amusé pendant des heures à Picross et Picross 3D. J’ai failli les oublier car c’est typiquement le genre de jeux avec lesquels on fait de petites sessions tous les jours. Cela devient presqu’un automatisme et on ne s’en rend même plus compte. Seulement, à force de sessions de 15 minutes pendant plus de deux ans, ça fait largement plus de cent heures de jeu. Enfin, « last but not least », j’aimerais rendre ici un hommage admiratif à Level-5 et sa saga du Professeur Layton. Dans une sphère ludo-numérique régulièrement sceptique envers le « casual gaming » et enclin à débattre sans cesse ce dernier ne va pas phagocyter les « vrais joueurs », l’équipe d’Akira Tago réussit une véritable quadrature du cercle. Les jeux de cette série peuvent se résumer à une enquête dans laquelle, pour avancer, il faut réussir des énigmes que l’on trouve dans Télé7 Jeux. La beauté du travail de Level-5 repose dans l’enrobage de ces mini-jeux. Les aventures du Prof. Layton sont toujours bien rythmées, bien racontées et on a constamment envie de connaître la suite. C’est le côté jeu d’aventure pour les joueurs traditionnels, si l’on accepte que la moindre conversation ou l’obtention du moindre indice se fasse via la résolution d’une énigme ! De l’autre côté, les nouveaux joueurs ont, pour leur part, des casse-têtes, des jeux de réflexion et des énigmes. En plus, Level-5 ajoute des énigmes hebdomadaires, le design rappelle celui des Triplettes de Belleville et les musiques sont toujours bien choisies. Un parcours sans faute, si ce n’est qu’au bout de 3 jeux, le concept manque peut-être de renouvellement. Mais il existe encore 4 jeux sortis ou à sortir au Japon.

Concernant l’apparence de la DS, je dois avouer que j’ai, moi aussi, craqué pour une DS Lite. Ils sont forts chez Nintendo avec leurs portables en sortant régulièrement des modèles identiques à l’esthétique modifiée. Ça a été le cas pour la Game Boy avec la Game Boy Pocket et la Game Boy Lite. Puis, ce fut au tour de la Game Boy Advance avec la SP et la Micro et maintenant la DS où ils sont allés encore plus loin avec 4 modèles : la Tank, la DS Lite, la DSi et la DSi XL. J’ai réussi à me retenir 2 mois avant d’acheter la DS Lite en août 2006 mais c’est la dernière fois que je me ferai avoir : je n’ai pas acheté de DSi ou de DSi XL et, pour le moment, je résiste à la 3DS. Mais ce n’est que la première de mes 3 DS Lite. Lors de mon séjour au Japon, j’ai trouvé par hasard, abandonnée sur le rebord d’un pont, une DS Lite rouge. L’écran du bas était complètement rayé mais la fonction tactile toujours opérationnelle et il n’y avait plus de stylet mais elle fonctionnait toujours. Après avoir surmonté ma honte de ne pas l’avoir déposé au kôban[2] le plus proche, je commençai même à l’utiliser principalement car le bouton L de ma 1ère DS Lite ne fonctionnait plus. De retour en France, je me suis dit que j’allais les vendre pour acheter une DS Lite neuve. Je les mis donc en vente toutes les deux, avec une description complète des problèmes et un prix en conséquence et, à ma grande surprise, les deux partirent plutôt rapidement et je récupérais ainsi une petite centaine d’euros, ce qui était suffisant pour une DS Lite noire flambant neuve, qui est encore celle dont je me sers actuellement.

Et surtout, grâce à la DS, ma mère s’est mise à jouer à une console de façon régulière. Attention, elle n’est pas une entière néophyte dans le domaine ! Nous jouions déjà ensemble à Tetris ou Dr Mario sur NES, mais c’est la première fois que la voyais spontanément utiliser une console de jeux. Une vingtaine d’années plus tard, elle joue toujours à des jeux de réflexion comme Tetris DS ou Picross mais, passionnée par les animaux comme elle l’est, elle a bien évidemment craqué pour Nintendogs. C’est tout à la fois enthousiasmant et surprenant de voir qu’elle initie elle-même des conversations pour me parler de son dernier toutou ou du fait qu’elle réussit le dernier niveau de Tetris !


[1] Processus d’amélioration des caractéristiques des personnages par l’acquisition d’expérience, généralement via des combats répétés des dizaines de fois.

[2] Un kôban est un poste local de police de proximité au Japon.

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